Titre: Chronique d’hiver
Auteur: Paul Auster
Édition: Babel (Trad. P. Furlan)
Date de parution: 2013
Ayant un goût (récent!) pour la littérature étatsunienne, je choisis ce livre, n’ayant jamais rien lu de Paul Auster, pourtant un maître de la fiction nord-américaine. Et bien m’en a pris!!!
Car, disons le tout de go, j’ai adoré ce livre! Comme souvent, le premier abord fut mitigé. Comme si le livre et moi-même, nous nous jaugions, nous nous respirions. Car plusieurs aspects en font une œuvre singulière.
D’abord cette chronique (au singulier) est un livre de mémoire de l’auteur. Il m’a semblé évident que ce terme de chronique est très bien choisi. C’est précisément le cas: un récit chronologique de la vie de Paul Auster, comme les Chroniques (au pluriel!) médiévales pouvaient relater les faits historiques. Paul Auster chronique donc sa vie. Oh! Pas la vie d’un super héros, pleine d’actions et d’aventures extraordinaires! Là n ‘est pas l’intérêt. La vie d’Auster est riche, pleine de rencontres et de galères mais vécues comme des étapes. De voyages aussi (Francophile, Auster vécut en France, et fut, un temps, traducteur de poètes français). On lit surtout la fabrique d’un auteur, dont la vie, simple, est indissociable de l’œuvre. Juste en rapportant sa vie, Auster montre une richesse insoupçonnée.
Et justement, Auster prend un parti des plus originaux pour « chroniquer » son existence. Son récit passe par ses sensations, son corps, ses sens. Il ne raconte pas sa vie par le menu, mais va narrer exhaustivement ses lieux de vie, ses goûts culinaires… toutes les descriptions passeront par les sens, avec des mots simples et dépouillés qui assurent une précision redoutable. Toute sa vie passée au crible de ses sensations. Paul Auster définit d’ailleurs l’ouvrage comme « un catalogue de données sensorielles ». C’est étonnant, mais ô combien prenant!
Enfin, Paul Auster utilise le tutoiement, ce qui peut paraitre surprenant pour raconter sa propre vie. Comme une mise à distance de lui-même. Mais également, cela interpelle le lecteur et, finalement, permet d’accéder à ce qui est commun à tous et toutes. Car cette vie devient donc celle du lecteur, la mienne, la vôtre. Curieuse sensation également d’un narrateur qui devient omniscient d’une vie qui est la nôtre mais sans l’être réellement. Quelques passages m’ont profondément touché, les dernières pages par exemple, que je me garderais bien de révéler, mais ces quelques lignes également, révélant les pensées qu’un homme peut faire sur sa vie: « L’inventaire de tes cicatrices, surtout celles de ton visage que tu peux voir chaque matin quand tu te regardes dans le miroir de la salle de bains pour te raser ou te peigner. Tu y penses rarement, mais chaque fois que tu le fais, tu comprends qu’il s’agit de marques de vie, que cet assortiment de lignes brisées, gravées sur ton visage, sont les lettres d’un alphabet secret qui raconte l’histoire de la personne que tu es, car chaque cicatrice est la trace d’une blessure guérie, et chaque blessure a été provoquée par une collision inattendue avec le monde ». Je trouve cela magnifique et ne me regarde plus dans la glace de la même manière depuis que je les ai lues!
Peut-être que ce livre me touche plus parce que je suis un homme. Peut-être parce que chacun de nous se pose des questions, plus ou moins explicitement, plus ou moins consciemment et honnêtement, sur son rapport à la vie et au vieillissement. Et simplement, parce que je suis toujours fasciné par les créateurs, par leur personnalité et la vie qui les amène à être ce qu’ils sont. Et ce livre est un formidable récit, témoignage poétique de toute ces questions. Et de ses quelques réponses.
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