« Mais je tiens pas tellement à être heureux, je préfère encore la vie. Le bonheur, c’est une belle ordure et une peau de vache et il faudrait lui apprendre à vivre. »
Titre: La vie devant soi
Auteur: Romain Gary (Émile Ajar)
Date de parution: 1975
Il paraît que ce livre est un véritable best-seller auprès des élèves, même les plus récalcitrants. Je me suis alors demandé quelle était cette perle. Trouvé d’occasion dans ma petite librairie associative, je l’ai dévoré aussitôt.
Momo a dix ans, ou à peu près. Il vit chez madame Rosa, qui recueille les enfants des femmes qui se défendent avec leur cul. Madame Rosa est vieille, grosse et moche mais Momo l’aime quand même. Et puis il y a les six étages qui tuent madame Rosa et ses crises d’habitude aussi. Elle a survécu à Auschwitz mais elle ne veut pas finir comme un légume à l’hôpital. Momo préfèrerait l’avorter par respect pour le droit sacré des peuples.
Je dois bien avouer avoir été complètement déboussolée par le style. En effet, le narrateur est le jeune Momo, âgé d’une dizaine d’années et il raconte son univers avec ses propres mots. Il faut donc identifier ce qui se cache derrière les expressions fantaisistes voire fautives du jeune enfant qui n’a pas été longtemps à l’école. Une fois passée cette barrière, un monde narratif riche et surprenant s’ouvre devant nous. En fait, lire ce livre, ça se mérite!
Nous avons affaire à une galerie de personnages forts, drôles et bouleversants, tous plus fous et colorés les uns que les autres: Madame Rosa, Momo, Moïse et Banania, madame Lola, la travestie, monsieur Hamil… Ils habitent Belleville et en font une cité cosmopolite peuplée de Juifs, d’Arabes et de Noirs.
Dans la vie du jeune Momo, Victor Hugo et Les Misérables apparaissent comme un gimmick, aussi sacré que le Coran. Pourtant, c’est bien sa version des Misérables qu’il nous donne avec sa langue populaire et ses personnages issus de la misère parisienne.
Le roman aborde deux thèmes très importants: la fin de vie et la tolérance. Et le choix d’un narrateur enfant rend les choses encore plus essentielles. Il va droit au but et voit les choses comme elles sont, dans leur brutalité, sans le vernis policé des adultes. Le roman est donc d’une humanité exceptionnelle. Il n’y a aucune comparaison possible avec ce que j’ai pu lire jusqu’à aujourd’hui sur ce sujet.
Pour la petite anecdote, le roman a reçu le prix Goncourt en 1975 sous le pseudonyme Émile Ajar. La vérité ne fut révélé qu’à sa mort.
Votre commentaire