Titre : Juste avant l’Oubli
Auteur : Alice Zeniter
Éditions : J’ai lu/ Flammarion
Date de parution : 2015
Cette chronique est pour moi un peu particulière : je connais l’auteure et j’ai partagé pendant deux ans les bancs d’une classe avec elle. Je ne pensais pas que cela changerait quelque chose mais en fait si. Cela change beaucoup de choses.
D’abord j’avais des réticences à lire un de ses romans. J’avais acheté son roman précédent, Sombre dimanche, mais je n’arrivais pas à l’ouvrir. Quelque chose clochait. J’avais peur d’entendre sa voix en la lisant. Mais pour ce roman-ci, je n’avais pas le choix. La lecture était obligatoire car professionnelle. Je ne pouvais pas tourner autour du pot plus longtemps…
Franck aime Émilie qui fait une thèse sur le maître du polar Galwin Donnell. Il doit la rejoindre à Mirhalay, une île perdue et inhabitée des Hébrides à l’ouest de l’Écosse. C’est là-bas que vont se dérouler les journées d’étude internationales consacrées à l’auteur. En effet, l’auteur y a vécu ses dernières années avant de disparaître. La thèse la plus couramment admise présente cette disparition comme un suicide mais le corps de Galwin Donnell n’a jamais été retrouvé. Franck espère que lors de ce voyage il aura le courage de demander à Émilie de passer sa vie à ses côtés.
Cela sent le polar mais ce n’est pas du polar. Cela sent le roman sentimental mais ce n’est pas un roman sentimental. Cela sent la littérature blanche mais ce n’est pas de la littérature blanche. C’est ce que l’auteur qualifie elle-même de « méta-polar amoureux».
Pourquoi « méta-polar » ? Le roman tourne autour du maître du polar et de l’auteur de polar dans une ambiance qui rappelle celle des Dix Petits nègres. La tension est palpable et on se laisse contaminer par cette ambiance. On sait, on le sent, il va arriver quelque chose sur cette île solitaire.
En refermant le livre, j’avais une drôle d’impression. Alors dans ces moments-là, je débriefe méthodiquement avec moi-même.
1. Est-ce que j’ai aimé ? Je crois.
2. Qu’est-ce que j’ai aimé ?
– le jeu littéraire autour de Galwin Donnell, auteur fictif, inventé de toute pièce par Alice Zeniter mais qu’elle réussit brillamment à faire passer pour réel. Non seulement elle invente le personnage mais aussi sa bibliographie, elle le cite, intègre des conférences convaincantes sur son œuvre.
– la douce satire du milieu universitaire, de ses rivalités, de ses désirs et mesquineries.
– le choix du personnage principal, Franck. En décalage avec les autres personnages, Franck apparaît comme le seul vraiment vivant et sensible dans ce roman puisque c’est à travers lui principalement que se vit ce séjour sur l’île de Mirhalay.
– des pages vraiment percutantes sur l’amour, sur les relations de couple, sur la douleur et la solitude.
– une plume simple, fluide, qui ne se donne pas un genre.
Bref, le récit embarque le lecteur mais toujours avec un petit sourire en coin.
3. Alors, c’est quoi ton problème ? Mon problème c’est le quatrième mur.
En théâtre, le quatrième mur c’est le mur virtuel, transparent qui fait que le spectateur voit la scène mais que les acteurs ne le voit pas, qu’il s’agit bien de deux univers distincts. Pour le roman, ce quatrième mur existe aussi pour moi. C’est la distance qui s’installe entre l’auteur et le lecteur par l’intermédiaire du narrateur. Cela devient un peu complexe, non ? Ce que je veux dire c’est qu’entre l’auteur et moi lectrice, il y a une distance infranchissable. Je n’ai de contact qu’avec le narrateur. Or ici le quatrième mur a explosé à la page 131.
L’auteur a utilisé un minuscule souvenir personnel pour nourrir son personnage. Normal, tous les auteurs le font ! Sauf que là, c’était un détail qui interférait avec ma mémoire personnelle. Alors, une fraction de seconde l’auteur et le personnage ont fusionné et moi je me suis retrouvée DANS le roman, comme faisant partie du hors-scène.
Cette explosion du quatrième mur a entraîné une vague de questions que je ne me pose jamais : qu’est-ce qui est fiction dans ce roman ?
Évidemment, Galwin Donnel, Mirhalay, les personnages sont fictifs. Tout est fiction puisque c’est un roman. Mais dans le détail, quels éléments appartiennent à la vie de l’auteur ? Et comme l’auteure elle-même s’interroge sur le rapport entre fiction et réalité, ces questions ont pris une place bien plus importante…
Retrouvez ma chronique de ce roman dans l’émission « N’écoute pas les idoles » sur Radio Béton.
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