Titre: Le Quatrième Mur
Auteur: Sorj Chalandon
Éditions: Grasset/Le livre de poche
Date de parution: 2013
Ce récit, c’est celui d’une dévoration car toutes les tragédies sont des dévorations. Les personnages y sont dévorés d’amour, de haine, de jalousie, de dilemmes moraux. Ici, c’est la guerre qui dévore tout.
Georges reçoit de son ami Samuel une mission d’ordre sacrée car Samuel va mourir et il laisse à Georges le soin de réaliser sa dernière volonté: monter Antigone d’Anouilh à Beyrouth en 1982 avec comme acteurs un membre de chaque communauté en guerre. Or si Georges a combattu dans la rue contre les fascistes dans sa jeunesse, il vit maintenant tranquillement. Et pourtant, il va tout abandonner pour donner vie à cette trêve théâtrale.
Si l’on pense au début que la référence à la pièce d’Anouilh est anecdotique et ne se justifie que par le projet fou de Samuel, il n’en est rien. Ce roman parle certes d’une tragédie mais il est lui-même une tragédie. La mise en abyme est complète quand la fin du roman intègre des didascalies et une mise en page théâtrale. Et si le roman s’ouvre sur le monologue du choeur d’Anouilh, il se ferme aussi sur la parole d’un choeur qui met un point final à la tragédie romanesque. L’auteur a réussi à tisser dans son roman une toile digne des plus grandes tragédies antiques. En effet, sans le savoir, Georges marche vers son destin, sans cesse.
Mais est-ce Georges le véritable personnage de cette histoire? Rien n’est moins sûr. D’ailleurs, il m’a beaucoup agacée ce personnage et j’ai eu assez peu d’empathie pour lui jusqu’à ce que je comprenne qu’il n’était que la victime d’une grande machine absurde et dévorante: la guerre.
Le véritable personnage de ce texte, c’est la guerre. Elle nous apparaît dans toute sa violence, dans toute sa rage et sa confusion. Elle semble éternelle, victorieuse et même séduisante. Comme vers le sein d’une maîtresse, Georges y revient, comme malgré lui, abandonnant tout, y compris ses deux femmes qu’il s’était juré de protéger toujours. Contre elle se fracassent les certitudes et la réalité. Après elle, il n’y a rien que le chaos.
Pourtant, il semble que l’auteur ait souhaité mettre l’humain au cœur de son récit comme en témoignent les noms de ses chapitres: ils désignent tous un personnage à l’exception de deux qui désignent un lieu. Mais ce lieu, n’est-il pas lui aussi un personnage? N’est-ce pas lui qui incarne cette guerre? Toujours est-il que ce n’est pas tant l’histoire de Georges que celle de Samuel, Imane, Aurore, Louise, Nakad et les autres. Tous affrontent la guerre et s’y brisent. Tous sont la personnification d’une attitude, d’une idéologie, d’un peuple ou d’un espoir. Et ils sont nombreux comme le sont les victimes.
Comme chez Anouilh, la langue de Chalandon se fait simple, claire et efficace. Les élans lyriques restent sobres et les descriptions ne tombent jamais dans l’excès. On peut dire beaucoup sans trop en faire. Il évite ainsi tous les pièges du pathos qui enferme la guerre dans ses clichés. De plus, comme l’a prouvé la lecture théâtralisée à laquelle j’ai assisté, cette langue est proche de l’oral et résonne d’autant plus.
Une lecture qui ébranle.
Terriblement envie de lire ce livre! De l’auteur j’avais bien aimé Profession du père
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