Je ne veux plus être mécanicien. Il n’y a plus rien à réparer, plus rien à sauver, plus rien à comprendre. Des jours et des nuits qu’il neige sur Bujumbura.
Titre: Petit Pays
Auteur: Gaël Faye
Éditions: Grasset
Date de parution: Août 2016
Comme j’ai toujours un temps de retard, j’ai lu Petit Pays un an après sa sortie pour la rentrée littéraire 2016. C’est un roman qui a reçu un accueil très favorable de la critique et qui a d’ailleurs été récompensé par le Goncourt des lycéens de la même année.
Gabriel, gamin de dix ans, fils d’ un expatrié français et d’une rwandaise coule des jours heureux dans son quartier à Bujumbura au Burundi. Avec sa bande de copains, il mène une enfance joyeuse, libre et privilégiée. Malheureusement, le Rwanda et le Burundi s’enflamment et le paradis de Gabriel va disparaître dans la violence.
On m’avait vendu ce roman comme un livre sur la guerre. J’avais vaguement entendu à la télé ou à la radio les mots de Rwanda, génocide, exil, biographie etc. et j’avais imaginé tout autre chose que ce que j’ai réellement lu. D’abord, je suis nulle en géographie, encore plus en ce qui concerne l’Afrique. J’ai donc dû aller voir une carte pour situer le Burundi et bien comprendre où se situait l’histoire. Puis j’ai ouvert le roman et je suis tombée sur Gabriel. Comme je suis un parfois un peu longue à la détente, je me suis demandée pourquoi l’auteur avait un autre prénom. Avant de me frapper le front en m’insultant allègrement : ceci n’est pas une autobiographie ! Pas même une auto-fiction. C’est un roman. Ensuite, je pensais me plonger dans l’enfer de la guerre, à la manière dont on se fracasse contre Le Quatrième mur de Sorj Chalandon. Et là encore perdu ! Le roman s’ouvre sur un personnage heureux : « c’était le bonheur, la vie sans se l’expliquer ». Toute la première partie nous met sous les yeux un paradis, celui de l’enfance. La vie est légère, sans conséquence, naïve et pleine de candeur. La prose de Gaël Faye se fait colorée, sensuelle et langoureuse. Les chapitres apparaissent comme autant de clichés mémoriels où le petit garçon convoque des fragments de souvenir. Il y a assez peu de repères temporels et c’est comme si le temps passait, uniforme. Ce n’est que progressivement que la guerre s’insinue, mot à mot jusqu’à son déchaînement le plus absurde.
Si certaines pages sont de pures merveilles stylistiques, pleine d’images et de forces, je n’ai pas entièrement adhéré à ce roman et plus particulièrement à ce personnage de Gabriel. Et les points d’achoppement de mon adhésion peuvent sembler minimes, superficiels pourtant quand on ne croit pas tout à fait à un personnage, il est difficile de l’aimer. D’abord ce petit garçon oscille entre une naïveté très marquée et une maturité stylistique étonnante. Gabriel a une correspondante française et lui écrit de splendide lettres, rythmées, poétiques qui ne sont pas sans rappeler le talent de Gaël Faye dans le maniement des mots en tant que slameur. Ces lettres ont d’ailleurs été des moments de purs bonheur de lectrice. Mais le Gabriel de la vie est un petit garçon privilégié, vivant dans un quartier cossu, dans tout l’égoïsme de l’enfance. Il voit certes le monde à sa hauteur mais il semble le contempler comme s’il n’en était que le spectateur. S’il exprime de vrais sentiments d’amitié et de tendresse pour ses amis, en ce qui concerne la famille, cela reste superficiel voire froid. Ses parents se séparent et il ne voit plus sa mère ? Pas d’émotion. Ses relations avec sa sœur Ana ? Réduites au minimum. Les seuls qui échappent un peu à cette superficialité ce sont les oncles et le cousin. En bref, ce qui intéresse Gabriel ce sont les hommes. Et sa correspondante française. Alors c’est peut-être normal mais moi cela m’a un peu dérangée. C’est comme si l’auteur avait tenu à distance toute douleur pour n’évoquer que le plaisir. Il reconstitue un paradis d’enfance et gomme la douleur jusqu’à ce que l’horreur détruise tout irrésistiblement. C’est cette volonté de préserver le goût du bonheur qui a affadi ma lecture. Je me sentais toujours repoussée aux marges de l’émotion.
Malgré tout ce roman doit être lu, au moins pour avoir l’opportunité de parcourir la dernière lettre destinée à Laure, la jolie correspondante française. « Des jours et des nuits qu’il neige sur Bujumbura ».
Pour informations : Gaël Faye sera en spectacle le jeudi 16 novembre à 20h30 au théâtre Beaumarchais à Amboise pour une lecture musicale de son roman.
Vous pouvez retrouver ma chronique sur Radio Béton dans l’émission N’écoute pas les idoles.
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