Je poursuis mon « été avec Balzac » avec Illusions perdues. En juin 1836, peu de temps après avoir gagné son procès contre Buloz, le directeur de la Revue de Paris, Balzac rejoint la vallée de l’Indre. Chez les Margonne, Balzac se repose et entreprend la rédaction de la première partie des Illusions perdues. Dans une lettre datée du 27 juin 1836, Balzac écrit à Emile Regnault:
« La Touraine m’avait si bien ravitaillé que jeudi, vendredi, samedi et dimanche, j’ai conçu les Illusions perdues, et j’en ai écrit les quarante premiers feuillets. »
A Angoulême, David Séchard, imprimeur est ami avec Lucien, un poète. Alors que Lucien connaît une petite gloire locale grâce à Louise de Bargeton, David épouse Eve, la soeur de Lucien. Celui-ci, encouragé par Louise de Bargeton, quitte Angoulême pour Paris. Il veut y connaître la gloire et prend le nom de sa mère: de Rubempré. David et Eve lui confient leurs économies pour favoriser sa réussite. A Paris, la carrière de Lucien connaît des hauts et des bas et il finit par rentrer à Angoulême. David, de son côté, est la victime d’un sombre complot visant à le ruiner et à le dépouiller de ses découvertes en papeterie.
Quand je me suis lancée dans Illusions perdues, je dois avouer que j’avais peur. Les 822 pages n’y étaient pas pour rien mais j’avais surtout l’impression de m’attaquer à un sommet balzacien. Il y aura d’autres escalades cet été mais c’était ma première épreuve.
Contrairement à ce qu’on croit, Balzac sait parfaitement maîtriser le rythme du récit. Si parfois il s’étend trop précisément sur la justice ou l’imprimerie au XIXe siècle, c’est dans un souci réaliste. N’oublions pas que le projet de la Comédie Humaine repose sur l’exploration systématique et précise de la société et des groupes sociaux. On retrouve à certaines fins de chapitre des procédés propres au feuilleton, ce qui rend le roman particulièrement efficace et plutôt haletant.
Le roman met en scène trois personnages fouillés et complexes. Lucien domine le récit. Au début, il apparaît comme un jeune homme talentueux et sensible. Pourtant face aux tentations, aux flatteries et aux plaisirs, le doux Lucien évolue et entraîne ses proches dans un dédale de catastrophes. David, moins éthéré et moins ambitieux en apparence, se lance à corps perdu dans ses recherches et n’a aucun sens pratique pour gérer son imprimerie. Au dessus de ces deux hommes planent la lumineuse figure d’Eve, incarnation du sacrifice et de la sagesse.
Le roman se présente sous la forme d’un triptyque autour d’Angoulême dont le centre se déroule à Paris. S’inspirant sûrement de sa propre expérience, Balzac dresse le portrait du monde de l’édition et du journalisme dans des pages impressionnantes d’actualité; ce qui peut à la fois faire sourire et profondément inquiéter. Dans ce monde cynique et sans foi, Lucien se dépouille peu à peu de ses illusions. Il essaie de tirer son épingle du jeu mais sans véritablement maîtriser les règles du jeu parisien.
Parfois touchant, Lucien est loin d’être un héros toujours agréable. Le lecteur, guidé par les remarques de Balzac a toujours une légère avance sur le personnage et voit donc les erreurs qu’il commet et les pièges dans lesquels il tombe. Alors évidemment on fulmine, on grogne, on peste contre Lucien (et parfois même on l’insulte copieusement!).
Bref, j’ai été surprise de dévorer les 800 pages et de m’immerger autant dans le récit, les personnages devenant rapidement mes familiers.