Les lions chez Balzac

Dans cet article, je tente de faire un point sur le lion chez Balzac. Je ne prétends pas tout savoir ni maîtriser le sujet. Je vous fais plutôt part de quelques réflexions et informations sur le sujet pour aiguiser votre curiosité.

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Granville, illustration pour Voyage d’un lion d’Afrique à Paris

Dans sa célèbre préface à la Comédie humaine, Balzac établit un parallèle entre les animaux et les hommes. Sur le modèle des scientifiques, il décide d’étudier les espèces sociales chez l’homme.

Il n’y a qu’un animal. Le créateur ne s’est servi que d’un seul et même patron pour tous les êtres organisés. L’animal est un principe qui prend sa forme extérieure, ou, pour parler plus exactement, les différences de sa forme, dans les milieux où il est appelé à se développer. Les Espèces Zoologiques résultent de ces différences.
Pénétré de ce système bien avant les débats auxquels il a donné lieu, je vis que, sous ce rapport, la Société ressemblait à la Nature. La Société ne fait-elle pas de l’homme, suivant les milieux où son action se déploie, autant d’hommes différents qu’il y a de variétés en zoologie ? Les différences entre un soldat, un ouvrier, un administrateur, un avocat, un oisif, un savant, un homme d’état, un commerçant, un marin, un poëte, un pauvre, un prêtre, sont, quoique plus difficiles à saisir, aussi considérables que celles qui distinguent le loup, le lion, l’âne, le corbeau, le requin, le veau marin, la brebis, etc. Il a donc existé, il existera donc de tout temps des Espèces Sociales comme il y a des Espèces Zoologiques.

Avant-propos de la Comédie humaine

Une des espèces en question est celle des dandies-arrivistes. Or, dans le vocabulaire du XIXe siècle, le dandy est aussi appelé « lion ». Attention! Comme l’apprend le prince Léo dans Voyage d’un lion d’Afrique à Paris, le lion parisien se prononce Laianne, comme en Angleterre.

Qu’est-ce qu’un lion parisien?

Le lion cultive l’élégance, la finesse et l’originalité aussi bien du vêtement que du langage. Il se doit d’être admiré.

de marsay furne la fille aux yeux d'or bertal
LA FILLE AUX YEUX D’OR.
Furne, 1843, t. IX, p. 252
Signatures :  Bertal ; F. Leblanc

Monsieur de Trailles, la fleur du dandysme de ce temps-là, jouissait d’une immense réputation…
— Mais il en jouit encore, dit le comte en interrompant l’avoué. Nul ne porte mieux un habit, ne conduit un tandem mieux que lui. Maxime a le talent de jouer, de manger et de boire avec plus de grâce que qui que ce soit au monde. Il se connaît en chevaux, en chapeaux, en tableaux. Toutes les femmes raffolent de lui. Il dépense toujours environ cent mille francs par an sans qu’on lui connaisse une seule propriété, ni un seul coupon de rente. Type de la chevalerie errante de nos salons, de nos boudoirs, de nos boulevards, espèce amphibie qui tient autant de l’homme que de la femme, le comte Maxime de Trailles est un être singulier, bon à tout et propre à rien, craint et méprisé, sachant et ignorant tout, aussi capable de commettre un bienfait que de résoudre un crime, tantôt lâche et tantôt noble, plutôt couvert de boue que taché de sang, ayant plus de soucis que de remords, plus occupé de bien digérer que de penser, feignant des passions et ne ressentant rien.

Balzac, Gobseck

Lucien était passé à l’état de Lion : on le disait si beau, si changé, si merveilleux, que les femmes de l’Angoulême noble avaient toutes une velléité de le revoir. Suivant la mode de cette époque à laquelle on doit la transition de l’ancienne culotte de bal aux ignobles pantalons actuels, il avait mis un pantalon noir collant. Les hommes dessinaient encore leurs formes au grand désespoir des gens maigres ou mal faits ; et celles de Lucien étaient apolloniennes. Ses bas de soie gris à jour, ses petits souliers, son gilet de satin noir, sa cravate, tout fut scrupuleusement tiré, collé pour ainsi dire sur lui. Sa blonde et abondante chevelure frisée faisait valoir son front blanc, autour duquel les boucles se relevaient avec une grâce cherchée. Ses yeux, pleins d’orgueil, étincelaient. Ses petites mains de femme, belles sous le gant, ne devaient pas se laisser voir dégantées. Il copia son maintien sur celui de de Marsay, le fameux dandy parisien, en tenant d’une main sa canne et son chapeau qu’il ne quitta pas, et il se servit de l’autre pour faire des gestes rares à l’aide desquels il commenta ses phrases

Balzac, Illusions perdues

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Henri Gervex, illustration de La Fille aux yeux d’or, source Gallica, [Henri de Marsay et Paul de Manerville.] Eh bien, qu’as-tu donc? lui dit Paul. [Cote : Res g Y2 29/Microfilm R 132628]

« De Marsay, Vandenesse, Manerville, les lions de cette époque », auxquels on pourrait ajouter de Trailles et Rastignac, dominent le monde parisien balzacien. Toute une faune entoure ces lions: les loups-cerviers (banquiers), les tigres (laquais), les rats (danseuses et comédiennes) et les lionnes (femmes à la mode). Le lecteur peut retrouver tous ces animaux dans Voyage d’un lion d’Afrique à Paris mais aussi dans les romans de la Comédie Humaine.

Le jeune M. de Soulas ne pouvait pas se dispenser d’ avoir un tigre. Ce tigre était le fils d’ un de ses fermiers, un petit domestique âgé de quatorze ans, trapu, nommé Babylas. Le lion avait très bien habillé son tigre : redingote courte en drap gris de fer, serrée par une ceinture de cuir verni, culotte de panne gros – bleu, gilet rouge, bottes vernies et à revers, chapeau rond à bourdaloue noir, des boutons jaunes aux armes des Soulas.

Balzac, Albert Savarus

Le lion se trouve aussi métaphoriquement associé au caractère et à l’attitude de certains personnages. Dans les deux extraits suivants, le lion est associé à Rastignac puis à Vautrin.

Vous êtes un beau jeune homme, délicat, fier comme un lion et doux comme une jeune fille.

Le sang lui monta au visage, et ses yeux brillèrent comme ceux d’un chat sauvage. Il bondit sur lui-même par un mouvement empreint d’une si féroce énergie, il rugit si bien qu’il arracha des cris de terreur à tous les pensionnaires. À ce geste de lion, et s’appuyant de la clameur générale, les agents tirèrent leurs pistolets.

Balzac, Le Père Goriot

Balzac et le dandysme

Le_Comte_Robert_de_Montesquiou_(musée_d'Orsay)_(12997850855)
Giovanni Boldini, Le Comte Robert de Montesquiou, 1897, Paris, musée d’Orsay,

Si le personnage du dandy est très présent chez Balzac, il n’en fait jamais vraiment l’éloge. Il conserve une distance ironique et s’en moque dans Voyage d’un lion d’Afrique à Paris mais aussi dans son Traité de la vie élégante.

Le dandysme est une hérésie de la vie élégante.
En effet, le dandysme est une affectation de la mode. En se faisant dandy, un homme devient un meuble de boudoir, un mannequin extrêmement ingénieux, qui peut se poser sur un cheval ou sur un canapé, qui mord ou tette habituellement le bout d’une canne, mais un être pensant… jamais ! L’homme qui ne voit que la mode dans la mode est un sot. La vie élégante n’exclut ni la pensée ni la science : elle les consacre. Elle ne doit pas apprendre seulement à jouir du temps, mais à l’employer dans un ordre d’idées extrêmement élevé.

Balzac, Traité de la vie élégante

Pourtant Balzac a aussi soif de reconnaissance et de distinction. Comme Lucien de Rubempré, il a des aspirations nobiliaires puisqu’il ajoute la particule « de » devant son nom. Ce n’est pas non plus sans raison que Balzac s’endette sans cesse.

Les lions sont des personnages importants dans la Comédie Humaine. Loin d’être des fats ridicules, ils peuvent apparaître comme dangereux et sans pitié. Ils peuvent représenter la société individualiste du XIXème parisien, celle des apparences reines et des débuts du capitalisme.

3 commentaires sur “Les lions chez Balzac

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  1. En écho de cette citation de Balzac que tu rapportes ci-dessus : « La Société ne fait-elle pas de l’homme, suivant les milieux où son action se déploie, autant d’hommes différents qu’il y a de variétés en zoologie ? », je te propose l’extrait suivant :
    « L’analogie entre les animaux et les humains l’aidait à comprendre les réactions de ces derniers. Il avait été très marqué dans sa jeunesse par le Roman de Renart. Le fabliau médiéval dénonçait sous des traits d’animaux les défauts des humains tels que la ruse, la bêtise, la méchanceté ou l’imposture. Le procédé avait fait florès. Quand il regardait la télé, il lui arrivait de substituer aux visages des intervenants, des journalistes ou des commentateurs, des têtes de cerf, de chien, de bœuf, de hyène, de chouette, de mérou ou de roquet. Il ne voyait plus leurs nez ni leurs bouches, mais des museaux de biches ou des becs de hiboux : des girafes dédaigneuses s’adressaient à des chiwawas trop choyés ou bien des loups goguenards se pourléchaient mentalement les babines à la vue d’ovins trop naïfs. Leur façon de communiquer pouvait s’apparenter au brame, au glouglou, au grognement, au jappement, au glapissement ou au raire pour imposer une domination, se rassurer, séduire ou menacer. Lui-même n’échappait pas à cette similitude, ne s’était-il pas reflété en saint-hubert dans le miroir vénitien ? »
    Extrait du dernier « Polycarpe »,à paraître en septembre…

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