Les jardins merveilleux dans la littérature antique

Le jardin est un motif qui apparaît dès les origines de la littérature. Nous pensons évidemment au paradis ou au jardin d’Eden.

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Fresque du nymphée souterrain de la Villa Livia à Rome

Saviez-vous d’ailleurs que « paradis » vient d’un mot persan désignant de grands parcs? Ce mot repris en hébreux (pardès) et en grec (paradeisos/παράδεισος) signifie « verger entouré de murs ». Cette clôture se retrouve comme caractéristique des jardins merveilleux du roi Alkinoos dans l’Odyssée d’Homère.

Aux côtés de la cour, on voit un grand jardin, avec ses quatre arpents enclos dans une enceinte. C’est d’abord un verger dont les hautes ramures, poiriers et grenadiers et pommiers aux fruits d’or et puissants oliviers et figuiers domestiques, portent, sans se lasser ni s’arrêter, leurs fruits; l’hiver comme l’été, toute l’année, ils donnent;

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On peut aussi considérer que les îles sont d’une certaine manière des jardins clos. On pense alors à l’île de Calypso sur laquelle Ulysse est retenu. Ces jardins, comme ceux d’aujourd’hui, se signalent par leur profusion de fleurs, de fruits et de senteurs. Ce sont donc des lieux de la fécondité et de la sensualité. Et surtout ils provoquent ravissement et admiration de tous, même des dieux.

Mais lorsqu’il arriva dans l’île très lointaine,
quittant la mer couleur de violette, il gagna
la terre ferme, et atteignit une grotte où la nymphe
aux belles boucles demeurait; il la trouva chez elle.
Sur le foyer brûlait un grand feu, et l’odeur très loin
du cèdre et du thuya bien sec se consumant
parfumait l’île. A l’intérieur, chantant à belle voix,
elle faisait courir la navette d’or sur la toile.
Un bois avait poussé près de la grotte avec richesse:
des peupliers, des aunes, des cyprès qui sentent bon.
Là, des oiseaux de vaste envergure nichaient,
des chouettes, des éperviers, de criardes corneilles,
oiseaux de mer dont les travaux sont sur les mers;
là, tapissant l’entrée de la profonde grotte,
sous le poids de ses grappes, une jeune vigne montait;
là, quatre sources surgissant en même lieu
dans quatre directions faisaient ruisseler leur eau blanche;
tout autour fleurissaient de tendres prés de violettes
et de persil. En un tel lieu survenu, même un dieu
se fût senti émerveillé et plein de joie…
Homère, L’Odyssée, V, traduction Philippe Jacottet
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Détail d’un grenadier de la fresque du nymphée de la villa Livia

Comme le montre ce passage, le jardin merveilleux est composé de nombreuses essences de plantes et d’espèces d’oiseaux. Ce qui caractérise celui-ci en particulier est l’importance des sens: odorat, ouïe, vue, goût, toucher. L’ensemble des sens est stimulé. Il faut rappeler qu’il s’agit d’un univers méditerranéen. On y retrouve donc la vigne mais surtout la présence de l’eau, de sources. C’est aussi le cas dans le jardin d’Alkinoos.

Vert en toute saison, il y coule deux sources; l’une est pour le jardin, qu’elle arrose en entier, et l’autre, sous le seuil de la cour, se détourne vers la haute maison, où s’en viennent à l’eau tous les gens de la ville.

Si nous pouvons parler de jardin merveilleux, c’est qu’une des caractéristiques majeures de ces lieux, c’est leur fécondité inhabituelle. Chez Alkinoos, « l’hiver comme l’été, toute l’année, ils donnent ». La nature offre aux habitants ses produits sans besoin de la cultiver.

Cherchons les campagnes, les heureuses campagnes, et les îles fortunées où la terre non labourée produit Cérès chaque année, où fleurit la vigne non émondée, où le bourgeon germe et ne trompe jamais, où la figue brune orne le figuier, où le miel coule du chêne creux, où la source transparente bondit dans son cours murmurant. Là, les chèvres viennent d’elles-mêmes pour qu’on les traie, et les brebis dociles apportent leurs pleines mamelles. (…) Que de choses nous admirerons, heureux! Jamais l’humide Eurus ne creuse le sol de ses pluies; les grasses semences ne sont point brûlées dans les sillons desséchés, tant le roi des Dieux y tempère l’une et l’autre saison.
Horace, Epodes, 16, traduction Leconte de Lisle

Les îles Fortunées d’Horace, même si elles sont aujourd’hui assimilées aux îles Canaries, sont en réalité des îles mythologiques où persistent l’âge d’or, temps merveilleux des origines où nul mal n’existait. On retrouve donc exactement les mêmes éléments dans la description de l’âge d’or par Ovide dans Les Métamorphoses:

La terre, sans contrainte elle aussi, épargnée par le hoyau,

ignorant les blessures de la charrue, offrait tout d’elle-même.

Les gens, se contentant de nourritures produites sans effort,

recueillaient les fruits des arbousiers, les fraises des montagnes,
les cornouilles, les mûres attachées aux âpres ronces

et les glands tombés de l’arbre de Jupiter aux larges branches.

Le printemps était éternel et, de leurs souffles tièdes,

les doux zéphyrs caressaient des fleurs nées sans semences.

Bientôt même, la terre, sans être labourée, produisait des moissons,
et le champ, non travaillé, blondissait sous de lourds épis.

Tantôt coulaient des fleuves de lait, tantôt des fleuves de nectar,

et de l’yeuse verdoyante tombaient des gouttes de miel blond
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Fresque de la Maison du bracelet d’or à Pompéi

Fécondité extraordinaire, printemps éternel, le jardin est le lieu du merveilleux, la marque des dieux. « Présents magnifiques des dieux » pour le roi Alkinoos, demeure d’une nymphe marine, lieu mythologique, le jardin merveilleux est un bien motif littéraire: le locus amoenus (lieu idyllique) propice à la rêverie, au plaisir et à la création. Ce motif se retrouve plus tard, sous une forme moins merveilleuse, que ce soit chez Platon ou dans la poésie pastorale de Virgile ou Théocrite.

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