Du vertige de la perfection dans l’enseignement

Quand on est enseignant, on est amené à faire des choix pour traiter un programme. Jusqu’alors ce choix me paraissait déjà difficile et j’avais toujours cette tentation de l’exhaustivité. Mais elle était tempérée par l’expérience et par la bonne connaissance des attendus de l’examen du bac. Tout a changé avec la réforme du lycée de 2019.

La réforme du lycée et ce que cela change

A présent, les 1ères des séries générales et technologiques étudient des œuvres et des parcours (thématique) au programme. Jusque là, cela ne change pas grande chose. Ce qui change considérablement la donne, c’est l’épreuve de la dissertation. Auparavant, il s’agissait d’une réflexion globale sur les enjeux d’un genre (l’argumentation, la poésie, le roman ou le théâtre). Tout ce qu’on étudiait en classe pouvait donc servir le propos. Aujourd’hui, la dissertation porte sur l’œuvre et le parcours. Rien ne semblait donc vraiment changer puisque les parcours indiquaient un axe de lecture de l’oeuvre. Ainsi pour l’étude de La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette, le parcours était « Individu, morale et société ». En toute logique, on pouvait s’attendre à un sujet du type : En quoi le personnage de roman est-il le reflet de la morale de la société?

Or voici le sujet choisi pour le bac 2020 (qui n’a pas eu lieu): Selon vous, Madame de Lafayette condamne-t-elle la passion amoureuse dans La Princesse de Clèves ?

Première remarque : le sujet ne porte que sur l’œuvre et laisse finalement assez peu de place aux textes qui ont pu être étudiés dans la thématique. Cela laisse les élèves un peu démunis. On peut remarquer que la formulation est cependant plutôt claire.

Deuxième remarque : le sujet demande une bonne connaissance de l’œuvre et de ses enjeux. Il est nécessaire que les élèves puissent se référer à des exemples précis tirés du texte et qu’ils maîtrisent les enjeux moraux et esthétiques liés à l’époque. En gros, et c’est là que je voulais en venir, si cette question n’a pas été traitée en classe, d’une façon ou d’une autre, les élèves seront déstabilisés.

Mettons-nous dans la peau d’un élève moyen. En 1ère, ils affrontent les épreuves du contrôle continu, les fameux E3C et les épreuves anticipées de français, orales et écrites. Il a donc déjà beaucoup de travail. Ajoutez à présent, le fait qu’il doit maîtriser quatre œuvres au programme, assez bien du moins pour pouvoir traiter une dissertation de ce genre. Vous pouvez être sûrs qu’il fera rapidement l’impasse et se tournera vers le commentaire qui ne lui demande pas d’apprentissage par cœur. Il ne faut pas oublier que les élèves ne préparent pas que la dissertation. Il y a d’autres types d’exercices à préparer.

En quoi ça me concerne ?

Mon objectif est que tous mes élèves réussissent le bac et qu’ils aient tous leur chance. Pour cela, je vais évidemment vouloir combler les lacunes, les aider dans la compréhension de l’œuvre, leur apporter les documents nécessaires pour enrichir la réflexion. Cela fait partie de mon travail et c’est ce que j’aime le plus. Mais c’est là que le vertige me saisit.

Quand je suis face à l’œuvre, je ne me contente pas de présenter un axe de lecture. Pour que tous les élèves aient leur chance, et pas seulement ceux qui ont de la culture, des habitudes de lecteurs, des parents qui aident ou paient des cours particuliers, je me dois de traiter le plus de thématiques possibles sur l’œuvre. J’essaie, dans la mesure du possible, de prévoir tout ce qui pourrait leur être demandé. Et c’est là que je perds pied. Un gouffre s’ouvre devant moi. Comment tout prévoir ? Comment les aider au mieux ? Comment les amener au niveau d’exigence requis quand déjà ils ont du mal à lire et comprendre l’œuvre? Comment faire le tri dans les textes, dans les ressources, dans idées que je trouve partout ?

Une deuxième difficulté se présente quand je lis la proposition de correction. Elle suggère que les élèves auront vu ou étudié des adaptations filmiques de l’œuvre. Comment faire ? Je ne peux clairement pas exiger des élèves qu’ils se procurent ces films. Je ne peux pas non plus prendre plusieurs heures à leur diffuser en classe. Je pourrais leur présenter des extraits mais il faut dans ce cas que je me procure les films (que je les achète, soyons clairs), que je les regarde, les analyse, les découpe et que je trouve un moyen de les mettre à la disposition des élèves. Rien d’infaisable car je ne suis pas là pour me plaindre mais il faut pour cela du temps. Du temps qui manque. Et accessoirement aussi des moyens financiers.

En fait mon vertige de l’exhaustivité, c’est celui de vouloir combler les manques. Comment faire au mieux ? Comment ne pas me tromper ? Comment être efficace ? Comment satisfaire tout le monde ? Évidemment que rien ni personne n’exige que je fasse tout cela. Pourtant, on reproche tellement tout aux enseignants, que je cherche par tous les moyens d’être irréprochable. Et la perfection reste une quête impossible.

Et vous, connaissez-vous ce vertige de la perfection dans votre métier ? Comment la vivez-vous ?

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