Les Secrets de l’Olympe T.1 Le sang de Méduse, de Claude Merle

Ce n’est pas souvent que je m’agace en lisant un roman. En général, ce que je trouve mauvais ou peu intéressant, je n’en parle pas, je le revends et je l’oublie. Mais cette fois, quelque chose en moi s’est hérissé et pourtant je ne cherche pas à faire polémique ni à inviter à brûler ce roman. Je voudrais juste interroger ce qui m’a provoqué cette irritation

En Grèce, au temps des dieux et des héros, on retrouve des nymphes pétrifiées. Les dieux chargent Phildémon, un héros fils de dieux, d’identifier le coupable. La piste de Méduse est vite écartée puisque le monstre a été tué il y a longtemps. Qui donc pétrifie ces jeunes divinités innocentes ?

Dans un contexte mythologique, l’auteur crée une enquête policière avec suspects, fausses pistes et rebondissements. Sur le papier, tous les ingrédients étaient réunis pour me plaire. J’avais d’ailleurs beaucoup aimé les romans de Richard Normandon dans la même veine. J’ai donc attaqué ce roman pour me détendre et me disant que j’allais pouvoir m’appuyer dessus pour approfondir mes recherches en réception de l’Antiquité. Au lieu de cela, j’ai passé une soirée à marmonner.

Problème 1 : Une enquête superficielle

Phildémon, le héros, incarne le topos de l’enquêteur rebelle, en désaccord avec sa hiérarchie, ici les dieux qu’il trouve ingrats. On voit ça dans à peu près toutes les séries policières. Son compagnon Ophidios joue les seconds couteaux et apporte la touche comique du duo. L’enquête suit une trame particulièrement simple au cours de laquelle le héros suit une piste après l’autre. Il ne peut donc perdre le lecteur en cours de route. Cependant, même si le roman est destiné à un public de jeunes lecteurs, on ne peut pas dire que Phildémon se creuse vraiment les méninges. Il menace, fait le coup de force, s’agace mais réfléchit peu. Nous sommes loin d’un Sherlock Holmes de l’Antiquité. Phildémon est plus proche d’un Hercule à qui on aurait demandé de résoudre une énigme… On pourrait me rétorquer que le public visé justifie cette simplicité. Cela serait un argument pertinent s’il n’y avait pas la suite des problèmes que je relève.

Problème 2 : Les enjeux du choix mythologique

Je me suis vraiment posé la question de la pertinence de la situation du récit dans un contexte mythologique, en dehors du fait de surfer sur la vague de Percy Jackson. En général, les récits fictifs qui s’insèrent dans un cadre mythologique s’appuient sur des mythes, légendes et personnages mythologiques. Le roman se charge alors de transmettre un patrimoine culturel en le vulgarisant. C’est justement ce que font les romans de Richard Normandon et de Rick Riordan avec pas mal de talent. Or ici, je ne vois pas où l’on pourra parler de vulgarisation. L’auteur fait effectivement référence à certains mythes et légendes (le filet d’Héphaïstos, le mythe de Daphné, Méduse) mais pour le reste c’est assez brouillon. En effet, à plusieurs reprises, je me suis demandé si les personnages évoqués existaient dans la mythologie. Il s’est avéré que non, ou alors qu’ils ne correspondaient en rien à leur rôle mythologique. Phildémon, Ophidios et même l’antagoniste sont des personnages inventés par l’auteur. Pontos et ses Phlégètes, de même. Pontos existe bien mais c’est un dieu et non un roi. Bref, là encore on pourrait me dire que Percy Jackson et ses acolytes aussi sont fictifs. Mais justement ! Dans le cadre de ce récit, le lecteur sait que ce ne sont pas des personnages mythologiques puisqu’ils vivent à notre époque. Or dans le roman de Claude Merle, le roman se situe dans l’Antiquité, à l’époque des dieux et des héros, dans le cadre précis de la mythologie. Il y a donc un risque que le lecteur inexpérimenté prenne pour argent comptant ce qui lui est raconté. Comment pourra-t-il faire la différence entre la « vraie » et la « fausse » mythologie ? Il aurait fallu au moins un glossaire final permettant au lecteur de faire la distinction. De plus, de nombreuses références mythologiques sont très implicites. Seul un lecteur cultivé peut les saisir au vol. A qui s’adresse-t-on alors ?

Problème 3 : Une drôle d’image de la femme

Le roman s’ouvre sur la découverte d’Harmonie changée en statue. Harmonie est rapidement caractérisée comme « merveilleusement belle ». Phildémon l’a « admirée à Thèbes ». Puis le héros doit annoncer à la nymphe Dioné dont il partage la vie son départ. Celle-ci s’agace et on peut la comprendre. Elle voit son compagnon partir affronter un monstre sur ordre des dieux. Elle est pourtant décrite comme « insensible à l’humour », soupçonneuse, jalouse (et la suite nous révèlera qu’elle avait sans doute des raisons). Bref, visiblement Dioné est une mégère. Phildémon découvre une nouvelle victime, Daphné. Caractérisation : « si belle ». Cela commence à faire beaucoup de femmes caractérisées par leur seule beauté mais ce sont des nymphes alors soit…

Dans un des chapitres, Phildémon découvre que le roi Pontos enlève et séquestre des jeunes filles afin que ses sculpteurs reproduisent leur beauté. Puis, il semblerait que le roi se débarrasse de ces jeunes filles. Nous avons donc affaire à six jeunes filles un peu niaises, dont la plupart sont frappées du syndrome de Stockolm et qui se jalousent les unes les autres. Encore une histoire de beauté. D’ailleurs, Phildémon pour les rassurer leur dit « Vous êtes toutes les six fort belles ». Dans la suite de son enquête, Phildémon retrouve Dioné qui a trouvé refuge auprès des siennes, dans son arbre d’origine. Elle lui signifie que leur relation est terminée puisqu’elle lui rend sa liberté. Phildémon est un peu chagriné mais se remet bien vite auprès d’Hygie, une autre jolie nymphe qui va servir d’appât. Cette jeune fille apparaît comme une séductrice sûre de ses charmes, dans un cliché de femme enfant mutine et sexy.

Puis d’un geste gracieux, elle se débarrasse de son manteau. Elle ne porte plus qu’une courte tunique qui révèle sa gorge ronde et ses jambes ravissante. Dans cette tenue, elle noue ses bras autour du cou de Phil.

Évidemment le héros n’y tient plus. « La beauté d’Hygie ne le laisse pas indifférent. » « Phildémon est pris au piège de la lumière trop vive de son attirance. […] Il doit garder la tête froide, éviter de regarder les traces de sel laissées par l’eau sur la peau blanche quand ils se sont baigné, tantôt. »

Je passe les autres scènes presque ridicules où les deux jeunes amoureux batifolent sur la plage. Dois-je préciser que le public visé ce sont les enfants de neuf ans ?

Plusieurs choses me dérangent mais je ne sais pas si c’est parce que je suis une femme, une vieille aigrie ou une « mère la morale ». Cette sexualisation des nymphes et surtout une réduction de leur rôle à de jeunes filles légères dont le charme « enchante les héros et les dieux » me hérisse. Pour rappel, Hygie est la fille d’Asclépios et symbolise la Santé. Il y avait bien d’autre rôle à lui donner que celui de nymphette délurée ! Pareil pour Daphné qui parle de son beau berger (Apollon déguisé). L’auteur a-t-il oublié que Daphné est celle qui a dit non, qui a fui et a préféré se transformer plutôt que céder aux avances du dieu ? Fallait-il vraiment finir sur cette scène affligeante d’une réunion entre filles qui parlent de leurs amoureux en minaudant ?

Je ne vois pas l’intérêt de cette sexualisation. En effet, les lecteurs de neuf ans voient-ils cette dimension ? S’ils ne la voient pas, quel est son rôle ? Et les lectrices alors ? Comment pourront-elles s’identifier à Phildémon, ce héros aux muscles saillants mais qui ne s’intéresse qu’à la beauté des jeunes filles ? Ou alors le livre est exclusivement écrit pour des garçons, des garçons de quatorze ans, faibles lecteurs et portés sur les jolies filles. Personnellement, j’avais l’impression que l’auteur avait mis en scène ses fantasmes d’homme dans un roman pour jeune lecteur. Et j’ai refermé le roman en disant « OK boomer ».

Je suis d’autant plus étonnée que les éditeurs aient laissé passer cela quand la littérature de jeunesse réclame plus de diversité, des rapports plus équilibrés et de véritables modèles. Bref, grosse grosse déception.


Les Secrets de l’Olympe, T1. Le sang de Méduse de Claude Merle, Le livre de poche jeunesse, 2020

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